Patrick Verbeke

" Mr Frenchy Blues "

 

Hello Patrick, il semblerait que ton histoire avec la guitare commence avec un titre d’Eddie Cochran ?

Yep ! Mais d'où tiens-tu cette info confidentielle ?
En effet, à 14/15 ans, quand j'ai eu ma première guitare, une Offner modèle "jazz", une demi-caisse, le "top" de l'époque, j'écoutais en boucle l'album "Remember" d'Eddie Cochran et en particulier, un rock ultra rapide intitulé "Jeannie, Jeannie, Jeannie".

Or ce que j'ignorais dans mon insouciante jeunesse, c'est qu'il existait des tonalités en musique. Moi, je ne connaissais que les trois accords les plus simples du blues, soit Mi, La, Si et je jouais tous les morceaux sur ces trois accords, en particulier "Jeannie, Jeannie, Jeannie" qui était joué par Cochran en tonalité de "La".

Comme à cette époque, j'accompagnais les disques sur le Teppaz familial, je n'ose pas vous décrire la cacophonie qui régnait dans la maison. Il m'a fallu attendre quelques mois pour qu'un musicien sympa m'explique le coup des tonalités et je jure que depuis ce jour, on ne m'y repris plus !!!

Comment est arrivée ta passion pour le blues ?

Ma passion pour le blues m'est arrivée par deux origines : La première me fut apportée par mon père qui était un fana de jazz et surtout de gospel, donc de blues… Je me souviens qu'il écoutait "Pour ceux qui aiment le jazz" tard le soir sur Europe 1 et qu'à travers la cloison de ma petite chambre, je n'en perdais pas une miette, surtout le grand Ray Charles qui faisait son apparition fin 50, début 60.

Le deuxième apport fut, sur la même radio, par le biais de l'émission "Salut les copains".

Là, j'allais découvrir ceux que l'on nommait les yé-yé avec en particulier Les Chaussettes, les Chats, Johnny… et j'adorais leur musique. Quand j'ai découvert qu'ils jouaient des reprises de Gene Vincent, d'Elvis, d'Eddie Cochran, de Buddy Holly… , je me suis très vite intéressé à ces pères fondateurs du rock n' roll. Et puis, là, en regardant les pochettes, je me suis aperçu que ces chanteurs de rock avaient été puisé leur inspiration chez les géants du blues noir comme Sleepy John Estes, Willie Dixon, Kokomo Arnold… et bien d'autres.

Je me suis mis à acheter des disques de ces gars-là. Ils étaient d'ailleurs assez difficiles à trouver en France mais je parvenais à obtenir des albums de John Lee Hooker, de Lightnin' Hopkins, de Sonny Terry et Brownie Mc Ghee, de Big Bill Broonzy ainsi que de BB King, de Buddy Guy, de Sonny Boy Williamson ou de certains anglais qui allaient faire leur propre révolution personnelle avec des types comme John Mayall, Eric Clapton, Peter Green ou le malheureusement trop méconnu Alexis Korner.

Quels sont tes idoles ?

Bien entendu des artistes de blues, de rock ou de country: Gene Vincent, M'sieur Eddy (Ce n’est pas du Lèch'botte blues !), Marty Stuart, Bonnie Raitt, Eric Clapton, Roy Buchanan, Paul Rogers, BB King, plus quelques autres, et la liste est dans le désordre…

Dans les années 70, c’est la rencontre avec Jacky Chalard et la formation du groupe Magnum, quelle était la tendance musicale de ce groupe ?

Nous étions Blues-Rock / Rock-Blues. Je m'explique : Nous étions aux portes du Hard avec quelques fois deux batteurs et deux guitaristes. Nous étions dingues de la musique de Bob Seger & the Silver Bullet Band.

Bob Seeger dont le tube était "Holywood Nights" et dont Johnny avait repris "Le bon vieux temps du Rn'R". Oui, nous faisions du bon gros Rock qui roule et c'est pour ça, je crois, que Johnny nous a pris dans ses tournées de 76 puis de 77.

Tu as accompagné Vince Taylor, parle nous du personnage ?

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il était plutôt fantasque ! Nous l'aimions beaucoup car il était comme un enfant dont le jouet était le rock n' roll. Quand nous l'avons rencontré, il était déjà très marqué par la vie, l'alcool, la dope et il lui arrivait de se déconnecter de la réalité.

En fait j'ai toujours pensé que cette "déconnection" tenait plus au fait qu'étant anglais et donc anglophone, il ne parvenait pas toujours à comprendre ce qu'on lui disait plutôt qu'à une vraie folie qui lui serait venue d'on ne sait pas trop où…

En fait, si dans ce début des années 80 il n'était pas toujours au meilleur de sa forme, cela tenait plus au fait qu'il en avait connu des vertes et des pas mures durant sa trop courte vie. Je l'avais adoré dans les années 60 mais je n'allais pas le laisser sur le bord du chemin quand, dans les années 80, il avait du mal à subsister.

Ses tournées, ses concerts, furent souvent épiques, mais quel bonheur de retrouver pour de trop courts instants, le vrai Vince qui fut notre idole, l'archange en cuir noir, le félin à la voix d'or…

Come on lovin' baby there's a whole lotta shaking going on !!!

Tu participes aussi à l’aventure Big Beat Records avec Jacky Chalard, quel souvenir gardes-tu des tournées ?

Tu sais qu'à cette époque nous formions un réel duo avec Jacky. On a même fait des disques sous le nom de "Bistrock" : "L'école du rock n' roll", adaptation française des Sultans of swing de Dire Strait. Ce duo s'est retrouvé quand nous avons créé le label Big Beat Records.

Par la suite, j'ai laissé l'administratif au père Chalard pour me consacrer à l'artistique et à la guitare. Ces tournées respiraient la joie de vivre avec de jeunes français mais aussi des américains plus âgés comme Jack Scott, Sonny Fisher, Gene Summers, etc…

Dans chaque ville, nous avions de réels fans mais ils n'étaient pas assez nombreux pour remplir les salles. Cela fut le problème majeur de ces tournées qui tournaient parfois en eau de boudin mais qui resteront pour nous tous de merveilleux souvenirs et un splendide terrain de répétition pour nous qui voulions à tous prix acquérir les ficelles du rockabilly.

Le Blues Français arrive en force dans les années 80 avec différents chanteurs ; Paul Personne, Bill Deraime… Comment as-tu vécu cette période fructueuse pour les « Frenchy » ?

De mon côté, je m'étais plutôt acoquiné avec Benoît Blue Boy qui est toujours pour moi un maître de l'harmonica ainsi qu'un prolifique auteur-compositeur. Nous avions fait de nombreuses premières parties pour Alan Jack et en 79, Benoît décide de faire son premier album en français "Descendre au café".

Il m'a donc appelé pour les séances et c'est l'année d'après que je me suis jeté à l'eau avec un premier album mi- français, mi- anglais : "Blues in my Soul". Pour ce faire j'ai appelé les copains de toujours : Blue Boy à l'harmonica, Chalard à la basse, Jeannot Cirillo aux drums, Guillaume Petite et Jean-Yves D'Angelo aux claviers… etc. Avec un bon succès d'estime de la part des amateurs de blues, j'ai signé chez Underdog et nous avons enchaîné un deuxième album dès l'année suivante "Tais toi et rame". La promo est montée en puissance avec le titre "Descends de ta planète" mais les ventes n'ont pas trop suivi et il faudra attendre 92 et "Blues and Ladies" pour voir le bout du tunnel.

A cette époque, j'ai appris qu'en choisissant de faire "blues", je n'avais pas choisi le chemin le plus facile et qu'il fallait s'attendre à une succession de hauts et de bas à n'en plus finir.

Pendant 5 ans (1993-1998), tu animes une émission le samedi soir sur Europe 1 "De quoi j' vais m' plaindre", encore une belle aventure ?

Tu parles d'une belle aventure !!! Ce fut bien le cas… (Mais tu me fais écrire un bouquin là !).

C'est Patrice Blanc-Francard (Pop 2, les enfants du rock) qui était alors directeur des programmes sur Europe 1, qui m'a proposé de faire une émission sur le blues le samedi soir vers 23h jusqu'à 1h du matin. Il s'agissait de présenter un bluesman ou un thème particulier du blues en parlant ou en chantant, toujours avec ma guitare à la main.

Je recevais ainsi des grands noms du blues comme Lucky Peterson, Luther et Bernard Allison, Larry Garner ou Clarence "Gatemouth" Brown aussi bien que d'illustres inconnus et nous "tapions le bœuf", nous improvisions durant une bonne heure et demie à chaque émission. Je crois que c'est mon meilleur souvenir à ce jour et partout en France où je joue, les gens s'en souviennent avec émotion.

Quel est ton modèle de guitare préféré ?

Sans aucune hésitation, la Télécaster, avec quand même un petit faible pour la Strat, la Les Paul et la Gretsch Duojet.

Pour l'acoustique mes deux luthiers préférés sont Dominique Bouges et JP Pigeot et pour la « résophonique » c'est la National ou les œuvres de Mike Lewis.

Tu as enregistré un album qui raconte l’histoire du Blues pour les enfants « Willie et Louise », Quel conseil donnerais-tu à un très jeune guitariste ?

C'est un petit peu mon cas aujourd'hui car mon plus jeune fils qui a 9 ans se met à la guitare.

Je lui ai donc donné deux conseils : Tout d'abord, ne pas avoir peur de se faire mal aux doigts tout en persévérant et d'autre part, plutôt que de jouer n'importe quoi, écouter inlassablement du blues afin de s'en imprégner et pouvoir ainsi le reproduire plus tard.

Dans tes albums nous retrouvons aussi du « Cajun », c’est aussi un style de musique qui te passionne ?

Oh oui ! Je suis allé en Acadie, au Canada, puis en Louisiane du côté de Lafayette, en plein pays cajun où il reste encore des tas de gens et de musiciens concernés par cette culture du 17ème siècle.

Ce qui me plait chez eux, c'est l'alliance entre la langue française et la musique américaine, cela donne un véritable rock français issu des racines, une mixité authentique qui rend directement hommage aux pionniers de cette musique.

Je sais que tu apprécies Eddy Mitchell, que penses-tu de l’artiste ?

C'est vrai que je ne peux parler que difficilement de l'homme car nous nous connaissons peu. Je crois qu'il règne pourtant entre nous un véritable respect. Un soir, lors d'un concert… de blues, c'était Bobby Blue Bland je crois, il m'a offert une menthe à l'eau et j'en fus très ému.

L'artiste, pour moi, est un génial "performer", un pur interprète doublé d'un formidable auteur. C'est une voix, c'est un grand chanteur mais aussi un véritable "personnage", ce qui l'a amené à faire du cinéma depuis de longues années maintenant. Et puis on a tendance à oublier trop souvent quel extraordinaire auteur il est. Il n'a pas son pareil pour façonner une chanson comme un petit film, avec son scénario, ses personnages, ses décors… etc.

Même s'il a tendance à lorgner du côté des crooners, il a su rester un véritable rocker, avec son humour décapant, ses histoires rigolotes et son jeu de scène toujours à la limite de la provoc'.

Depuis le premier soir où je l'ai vu sur scène à Caen, accompagné par les Fantômes en 1964, mon admiration n'a jamais été mise en doute et je continue d'apprécier chaque nouvel album, chaque nouvelle tournée…

Avec de nombreux musiciens (Michael Jones, Francis Cabrel, J.J Goldman, Paul Personne, Claude Engel, Basile Leroux, Beverly Jo Scott…), tu as participé aux excellents DvD « Autour du Blues », c’était une belle expérience, tu peux nous en parler…?

Ah oui, ce furent aussi de grands moments de bonheur !

C'est Michael Jones et Denys Lable qui ont eu l'idée de nous réunir. En fait, il y avait deux "bluesmen à temps complet", il s'agissait de Chris Lancry et de moi-même, les autres étant des blues people plutôt "de passage". Peut-être pas des bluesmen (and –women) à temps complet mais ils connaissaient bien leur sujet et… quel niveau, quel talent !!!

Quand tu entends JJ Goldman jouer comme Freddie King derrière toi… ou Francis Cabrel interpréter "Down in Mississippi", une magnifique chanson de JB Lenoir sur la ségrégation, ça te donne des frissons… et tu es fier d'être là !


« Autour du Blues », Patrick avec Paul Personne et Francis Cabrel

Une suite d’Autour du Blues est-elle prévue ?

Difficile de répondre à cette question car nous en avons tous envie, en particulier notre maître d'œuvre, notre directeur musical, Denys Lable qui fait des pieds et des mains pour voir aboutir un nouveau projet.

Musicalement, tout est pratiquement prêt mais c'est au niveau de la "prod" que le bât blesse.

Je lance ici un appel : Si un producteur est intéressé, qu'il se fasse connaître !

Parfois, tu retrouves sur scène Jacky Chalard, Jean Jacques Cirillo et Thierry Le Coz, pour «Tex french connection», c’est encore un pur moment de bonheur, car tu les connais bien ces gars-là ?

Tu parles si je les connais ! Nous fûmes (cette cigarette !) un véritable trio rythmique durant près de 10 ans, accompagnant Vince Taylor et les artistes Big Beat à chaque fois que c'était nécessaire.

Jacky et Jean-Jacques m'ont également accompagné sur scène et sur disque pendant très longtemps, quant à Thierry Le Coz, il eut ses heures de gloire avec les Teenkats avant d'émigrer à Austin, Texas.

Une petite question de Jean Jacques Cirillo : Toi qui as fait « autour du Blues », pourquoi pas faire « autour du Rock » ?

Je ne savais pas que Jeannot s'intéressait à ça.

Le problème est que ce n'est pas moi qui ai "fait" Autour du Blues, ce sont différents producteurs qui se sont succédé.

Il va de soi que si je trouvais quelqu'un, je serais partant, à fond la caisse.


Steve et Patrick

L’histoire du Blues chez la famille Verbeke continue avec ton fils Steve (Harmoniciste), as-tu souvent l’occasion de jouer avec lui ?

Non seulement, nous jouons pratiquement tout le temps ensemble, mais en plus, nous sommes en train d'enregistrer un album intitulé "Père et Fils"…

tout un programme !

A ce jour, quel est ton plus beau souvenir en tant que musicien ?

Je crois les avoir tous cités tout au long de cette interview.

Avec qui aurais-tu aimé jouer ?

BB King et Clapton !

Tu as enregistré un Album intitulé "Bluesographie", tu peux nous en parler ?

Cet album "Bluesographie" appartient déjà au passé puisque je suis en train d'enregistrer le nouveau avec mon fils. Cependant, je garde un souvenir ému de ce bel album qui fut une autobiographie musicale dans lequel j'ai pu raconter ma vie d'artiste en l'illustrant avec les moments instrumentaux des différentes époques traversées.

Tu es aussi producteur ?

Je le fus mais c'est une facette de ce métier vraiment trop risquée pour moi. J'ai trop perdu d'argent, je ne crois pas recommencer de sitôt.

Quels sont tes projets ?

Cela fourmille toujours dans ma caboche ! Tout d'abord le prochain disque, puis la promo avec un clip inédit, peut-être une émission de télé… et toujours mes vidéos pour le magazine "Acoustic Guitarist".

La coutume de Mitchell-City est de laisser le mot de la fin à l’invité :

Cet été, durant nos séances d'enregistrement, nous avons, je crois, inventé un nouveau mot : les schmolleries !

Ce n'est pas du tout péjoratif. Au contraire, cela indique que mon fils et moi avions trop tendance à imiter Monsieur Eddy et notre producteur Didier Zilliox nous remettait sur la voie (de notre voix) en nous lançant : "Halte aux schmolleries !".

 

Merci Patrick pour tes réponses,

Pascal pour Mitchell-City

(Questions posées le 07/09/2009)



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Septembre 2009

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